Rationalité, vérité & démocratie

Roman et démocratie

ROMAN ET DEMOCRATIE

La façon dont on parle de la relation (ou au contraire de l’absence de relation) entre le principe de l’égalité et de la démocratie littéraires, et celui de l’égalité et de la démocratie politiques suscite généralement chez moi une grande perplexité.

Croire que les distinctions et les barrières sociales disparaissent dans le monde du roman est, selon Virginia Woolf, une illusion complète. « Il est inutile, remarque-telle, de faire comme si les distinctions sociales avaient disparu. […] Nous sommes cloisonnés, séparés, coupés les uns des autres. Sitôt que nous nous regardons dans le miroir de la fiction, nous savons qu’il en est ainsi. »

Après avoir expliqué que la formule littéraire du principe d’égalité démocratique est fournie par l’absolutisation du style, Rancière ajoute : « Reste à savoir comment l’on entend cette “promotion” des vies quelconques corrélée à l’“indifférence” de l’écriture. »

C’est effectivement tout le problème. Il n’est pas contestable que ce que Rancière appelle « la suppression de toute hiérarchie entre sujets et personnages, de toute relation entre un style et un sujet ou un personnage » constitue un principe d’égalité d’une certaine sorte. Mais on peut se demander si le simple fait d’accorder aux êtres quelconques ce que l’on pourrait appeler un « droit au style » et à la perfection stylistique suffit à conférer au principe d’égalité en question un caractère politique déterminé et, si ce n’est pas le cas, quelles sont les conditions supplémentaires qui doivent être remplies pour ce soit le cas.